Rapport d'information n° 274 (2000-2001) de M. Yann GAILLARD, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 avril 2001
Voici une « Académie » qui n'a plus de tradition à transmettre, qui groupe des lauréats sans aucun centre d'intérêt commun, et qui, même dans ses domaines d'excellence historique, musique et arts plastiques, ne saurait plus offrir ni références ni critères d'évaluation.
Qui invite, aux frais de la République, des artistes au sens le plus large du terme dans une Capitale qui n'est plus, et depuis longtemps, un centre important de création. Où, par conséquent, seuls les historiens d'art et les restaurateurs de tableaux, qu'on a rajoutés à la liste, ont quelque profit intellectuel à tirer de leur séjour.
Evoquant rapidement les aspects financiers de son contrôle, M. Yann Gaillard a indiqué que ses observations pouvaient s'appuyer sur des constatations de la Cour des Comptes touchant au calcul des frais de représentation et des indemnités de fonction, ainsi qu'à la prise en compte des avantages liés à la mise à disposition de logements.
Mais dépassant ces considérations budgétaires, M. Yann Gaillard a voulu d'emblée poser une question fondamentale : quel est le sens, aujourd'hui, d'une telle institution, à partir du moment où la création tend à s'affranchir de toute tradition, et où Rome n'est plus, même à l'échelle de l'Italie, un centre actif de création ?
Indiquant qu'il avait pu constater, au cours de sa visite à la Villa, que les pensionnaires évoluaient dans un monde sans obligations ni sanctions, et que cette liberté ne suffisait pas à les satisfaire de la condition qui leur était offerte par la Villa, le rapporteur a indiqué qu'il existait une disparité évidente entre la situation des pensionnaires à carrière et celle de ceux qui n'en ont pas. Bref, entre les pensionnaires protégés et ceux qui ne le sont pas, distinction recouvrant largement celle entre les fonctionnaires - ou les futurs fonctionnaires - et tous les autres.
Le premier des obstacles à une vraie réforme du fonctionnement de la Villa Médicis résulte de ce que celle-ci n'est pas perçue comme nécessaire. La Villa est pour ainsi dire mise à l'abri des critiques, telles les personnes que Jupiter voulait préserver, par le halo protecteur de son rattachement à certains principes fondateurs comme la liberté de création et le mythe du concours.
On est étonné aujourd'hui de la complexité qui présidait par le passé à l'organisation des concours des prix de Rome et du processus de sélection des artistes. La multiplicité et la diversité des épreuves, l'obsession de l'anonymat des candidats, le vote secret des membres du jury ; la sanction enfin de l'opinion du public et de la presse, rendaient, selon Jacques Thuillier, tout passe droit difficile et neutralisaient les protections dont pouvaient se prévaloir les candidats en fonction de leur lien avec tel ou tel atelier ou professeur.
Ainsi, à l'image de l'École normale supérieure, la Villa Médicis se trouvait-elle au sommet d'un système d'enseignement pour constituer la clé de voûte d'une sélection profondément démocratique et républicaine.
Or, il n'y a plus aujourd'hui pour la Villa, cette dynamique du concours avec la procédure de sélection sur dossier, dès lors que sa préparation n'implique plus un effort spécifique mais dépend en réalité de facteurs beaucoup plus personnels et subjectifs.
Par ailleurs, on s'est rendu compte que les expositions d'art contemporain à Rome n'attiraient qu'un public restreint et que, s'il s'agissait de faire connaître le travail accompli par les pensionnaires romains, il valait mieux le présenter dans le cadre d'expositions plus ambitieuses faisant intervenir des artistes de forte notoriété.
L’Académie de France à Rome est une institution installée depuis 1803 à la Villa Médicis.
Cet établissement public, relevant du ministère de la Culture, est entouré d’un parc de sept hectares situé sur le mont Pincio, au cœur de Rome.
La création de l’Académie de France à Rome coïncida avec la politique des grands travaux entreprise par Louis XIV : transformation du Louvre, des Tuileries et Versailles. Créée en 1666, sous l’impulsion de Colbert et du Bernin, elle accueillait à la fois les artistes ayant remporté le Premier Prix de Rome et quelques pensionnaires protégés.
À cette époque les pensionnaires, soumis à une discipline rigoureuse, devaient essentiellement consacrer leur séjour à la réalisation de copies de l’Antique ou de la Renaissance.
Avant de s’installer à la Villa Médicis, l’Académie connut plusieurs résidences, le palais Caffarelli en 1673, le palais Capranica, et enfin le palais Mancini en 1725.
Pendant la Révolution, la charge de directeur fut abolie et le lieu saccagé et pillé en 1793. A la suite de ces événements, l’Académie de France à Rome fut supprimée. Elle fut rétablie en 1795 par le Directoire, mais il restait à lui trouver un nouveau lieu d’accueil. Le 18 mai 1803, la France et la Cour d’Etrurie décidèrent d’échanger le Palais Mancini contre la Villa Médicis.
André Malraux nomme, en 1961, le peintre Balthus directeur de la Villa Médicis ; le Prix de Rome commence alors sérieusement à s’affranchir des règles néo-classiques jusque là recommandées.
A la suite des événements de Mai 68, l’appellation "Prix de Rome" sera supprimée et, dès lors, se posera la question de la légitimité même d’une institution coûteuse comme la Villa Médicis qui, pourtant, continue d’exister.
Depuis 1971, après plus d’un siècle de tutelle par l’Institut, l’Académie de France est rattachée au Ministère de la Culture et les grandes disciplines traditionnelles, architecture, sculpture, musique et surtout peinture, prendront une importance des plus relatives.
De nos jours, le mode de sélection des futurs pensionnaires n’est plus clairement établi, il repose essentiellement sur la constitution et l'examen subjectif d'un dossier personnel. En tout cas, il ne se fonde plus sur des lois académiques considérées comme définitivement dépassées et encore moins sur la reconnaissance d'un public, absent et forcément profane.
Chaque année, pour chacune des disciplines présentes à la Villa, une présélection est effectuée par des rapporteurs mandatés par la Délégation aux arts plastiques. Ces rapporteurs sont incités à faire appel à des candidats dont ils connaissent déjà le travail, aussi auront-ils une naturelle tendance à soutenir leurs candidats au détriment des autres. Concrètement, il y a donc deux modes de recrutement : le premier avec des candidats parrainés, ce qui s'apparente à une forme de copinage assez peu républicaine, et une autre avec des prétendants libres, d'emblée défavorisés.
Désormais, la Villa Médicis ne présente plus une caution suffisante de réussite, mais l'établissement assure encore un lien avec les réseaux d'influence et permet, à défaut, d’obtenir un poste d'enseignant-fonctionnaire.
En sachant que la nomination de directeur de la Villa Médicis se fait par décret du chef de l’État, celle-ci offre surtout des opportunités de reclassement à quelques hauts fonctionnaires ou conseillers politiques, ce qui explique que même devenue inutile et sans objet, la suppression de la Villa Médicis ne figure pas à l'ordre du jour, pas plus que sa vente ou sa restitution aux italiens.
L’APRÈS 1968
En mai 1968, des grèves étudiantes à la Sorbonne, dans les facultés et grandes écoles entraînent la séparation du département d'architecture de l'École des Beaux-Arts, ainsi que la fin, entre autre, du traditionnel Bal des Quat'z'Arts.
Cette date constitue sans conteste une période charnière au niveau de l’enseignement des Arts.
En effet, les anciens critères académiques, jugés trop rigides pour favoriser l’originalité et trop aliénants pour la personnalité des créateurs, se trouvent vivement remis en cause. Les étudiants réclament alors la suppression du Prix de Rome, de la présence obligatoire aux cours avec un alignement sur le système des facultés.
Ces doléances vont être entendues dès 1970 ; année qui entérine, après la suppression du Prix de Rome :
- La fin de la présence régulière aux cours, ce qui ne manquera pas d'engendrer, à plus ou moins long terme, un absentéisme chronique.
- La fin de l’examen de base des Beaux-Arts, le certificat d’aptitude à la formation artistique supérieure (CAFAS) qui, jusqu'alors, authentifiait la maîtrise des techniques artistiques.
A partir de là, les écoles placées sous la dépendance du Ministère de la Culture perdront le monopole de la formation avec la mise en place progressive des facultés d’Arts Plastiques et la création d’un cursus universitaire classique licence-troisième cycle.
Le marché de l'art, les emplois de fonctionnaire dans ce domaine - enseignement et culture - se trouvant de tout temps très réduits, ces deux filières de formation auront comme conséquence d'accroître considérablement les effectifs des étudiants diplômés et d'en laisser par conséquent bon nombre sans aucune perspective de carrière et d’emploi.
Quel contenu pour quel apprentissage aujourd’hui ?
A l’image d’une partie de l’art vivant, l’abandon quasi-systématique des références traditionnelles conduira rapidement à la déliquescence des apprentissages fondamentaux.
A ce propos, on peut d’ailleurs raisonnablement s’interroger sur le contenu réel qui sera communiqué par de jeunes diplômés, n'ayant finalement jamais appris à dessiner et devenus néanmoins professeurs d'arts plastiques, à leur public composé principalement de collégiens.
Toutefois, il faut espérer que face à leur classe, ces nouveaux enseignants sauront définir des objectifs moins confus que ceux professés il y a peu par leurs maîtres, comme en témoigne le passage suivant sur l’enseignement dans les Écoles d’Art, extrait d’une proposition pédagogique datée de janvier 1995 :
« ... C’est en cela, entre la surprise et le sérieux, comme entre le dit et le non dit, que ce projet - il s’agit des trois affiches monochromes sans aucun motif dessiné - peut être un exemple du travail mené dans les écoles d’art. Ce projet pointe la distincte différence des études artistiques, la rigoureuse retenue intime et enclose de leur méthode et la nature entrevue, d’entre-deux, de leur ambition. A titre de métaphore pour la visée des enseignements artistiques, ce projet comme les autres qui auraient pu être sélectionnés, allie imagination et calcul, fait et feinte, idée et acte et répond à un cahier des charges. »
L’Éducation Nationale, elle-même, semble rencontrer quelques soucis avec l'appellation de la discipline artistique en lycées-collèges. Tout d'abord nommée simplement "Dessin", celui-ci dans les années 80, en suivant le modèle de l'art contemporain, s'est élargi aux vocables assez vagues mais plus intellectuels de "Arts Plastiques" pour devenir ensuite plus modestement "Éducation Artistique". En lycée professionnel, sans doute afin de montrer son attachement à la nature plus concrète des études ainsi qu'à la réalité d'une société de consommation où la publicité tient une grande place, l'appellation "Arts Appliqués" a été préférée par les inspecteurs spécialistes en la matière.
Avec le Dessin les règles étaient relativement claires et les références tangibles, l'art ou plus exactement ses savoirs pouvaient s'enseigner et s'apprendre, ils relevaient tout naturellement des compétences de l'enseignement public.
Mais aujourd'hui, à l'heure des modes imposées, comment expliquer aux élèves l'utilité de l'art contemporain ou encore justifier les qualités plastiques de la virgule Nike de leurs chaussures ?
Se pose donc sérieusement la question de savoir s'il faut réformer, maintenir, ou supprimer cet enseignement, tant en lycées-collèges qu'au niveau supérieur : facultés-écoles d'art ?
Autrement dit, les enseignements artistiques, à l’image de ce qui se pratique déjà pour les conservatoires - musique et théâtre, ne devaient-ils pas revenir à la sphère privée ou à la gestion des seules collectivités territoriales ?
S'avère-t-il encore opportun de conserver des structures aussi lourdes, pourvues de fonctionnaires agrégés et même d'inspecteurs généraux en arts, ce qui ne manque pas d'avoir un coût et de générer des circulaires plus inutiles les unes que les autres, pour une matière qui a perdu tout fondement, tout contenu et qui, dans l'état d'esprit actuel et à moins d'en revenir à l'académisme, ne peut plus guère s'enseigner.
Concernant les enseignements supérieurs, sauf à se bercer d'illusions sur d'improbables débouchés, il semble acquis qu'une des deux filières : facultés - écoles d'art paraît de trop. A trop vouloir décerner de diplômes nobles et quel qu'en soit le niveau, la nature même, l’État, l’université…, face à la réalité de la vie, sont devenus aussi de redoutables machines à fabriquer déception et désillusion.
Les Écoles d’Art
56 écoles d'art sont placées sous la tutelle pédagogique de la délégation aux Arts Plastiques du Ministère de la culture. Elles dispensent toutes un enseignement post-baccalauréat et sont accessibles après un concours d'entrée. Les étudiants ont la possibilité d'obtenir des bourses. Les écoles délivrent des diplômes nationaux comme le DNAP (Diplôme National d'Arts Plastiques) après trois années d'études ou le DNSEP (Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique) après cinq années.
Enseignée dans quatorze universités, la licence d'arts plastiques s'inscrit dans la continuité du DEUG et compte environ 2000 étudiants en 2010. Elle comporte au moins 450 heures d'enseignement, dont des approches discursives en histoire de l'art avec connaissance de l'art contemporain.
La remise en cause d'un enseignement de masse pour les matières artistiques, sans réels débouchés professionnels mis à part l'enseignement, reste aussi valable pour quelques autres disciplines.
Le FNAC
Les 70.000 œuvres acquises par le Fonds National constituent un vaste panorama des tendances artistiques de 1875 à nos jours. Elles sont présentes dans les lieux publics : Musées, Ministères, Ambassades... mais également pour une grande part dans les réserves.
Le premier service chargé des "ouvrages d'art appartenant à l’État" est créé au lendemain de la Révolution française en 1791. C'est de ce service, doté d'un budget propre aujourd'hui de 3,2 millions d'euros, distinct de celui des musées, qu'est issu le Fonds national d'art contemporain, institué sous cet intitulé en 1976.
A la faveur d'une nouvelle définition des structures dévolues à la création contemporaine, le Fnac passe sous la tutelle de la Délégation aux Arts Plastiques en 1981, elle même dépendante du Ministère de la Culture. Rattaché d'un point de vue budgétaire au Centre national des arts plastiques, il en devient la composante essentielle en 2003 lors de la réforme de cet organisme.
Depuis 1991, le Fnac est installé à la Défense. Une œuvre commandée à l'artiste François Morellet, "La Défonce", en marque symboliquement l'emplacement.
Le Budget culturel :
Le montant alloué au Ministère de la Culture est passé de 0,46% du budget de l’État avant 1981 à plus ou moins 1%, y compris les grands travaux et les nouvelles compétences.
Répartition du budget par domaines d'intervention :
Pourcentages susceptibles de légères modifications en fonction des années considérées.
Archives : 0,5 % Musées : 8% Livre et Lecture : 8 % Patrimoine : 12,5 % Arts Plastiques : 3,5 % Théâtre et Spectacles : 9,5 % Musique et Danse : 13 % Cinéma, Audiovisuel : 16,5 % Administration : 24 % Développement Culturel : 4,5 % |
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Nombre d'actions sont financées en partenariat entre État et Collectivités Locales.
http://education-programme.over-blog.com/2018/04/le-ministere-de-la-culture-doit-etre-supprime.html
Le lien indiqué ci-dessus permet de prendre connaissance des œuvres récemment acquises par les Fonds Régionaux d'Art Contemporain. Il donne également un aperçu exhaustif, après un demi-siècle de reconnaissance officielle, des œuvres générées par l’esthétique d’un Etat français sous influence.
On constatera que moins d’une oeuvre sur dix achetées échappe à cette curieuse norme conceptuelle qui caractérise l'art contemporain.
On y verra la preuve immédiate et intangible que les FRAC ne constituent en aucune sorte un "trésor national", comme l'ont prétendu avec suffisance Jack Lang, Claude Mollard et quelques autres, mais plutôt un scandale d’Etat, par ailleurs peu démocratique et très impersonnel ; une anomalie désastreuse sur l’image que la France, patrie des Arts et de la Culture, souhaite pourtant véhiculer.
Ce lien montre un art de nature insaisissable, seulement compréhensible ? Par une infime minorité de personnes mais qui bénéficie cependant largement des deniers publics.
On observera enfin définitivement que cet art des FRAC, déshumanisé et pour le moins confidentiel, n'a rien à voir avec le sens commun, et encore moins avec les codes de reconnaissance esthétique tels qu’ils existent depuis des millénaires.
Mais cet art des FRAC, fruit essentiellement d’un dérèglement de l’appareil d'état, n’est pas une fatalité. Il suffirait pour les institutions dépendantes du Ministère de la Culture d'arrêter les achats, plus ou moins arbitraire, et tout rentrerait dans l’ordre des choses. Le marché de l'art retrouverait son équilibre et la France, par là même occasion, son indépendance culturelle.
L'Image comme moyen de propagande ?
La crispation bipolaire, URSS-USA, qui définit la Guerre froide pendant plus d'une décennie est également culturelle puisque les deux puissances d'alors se combattent aussi par l'intermédiaire de l'image.
Dès 1946, le ministère des Affaires Étrangères des États-Unis participe au financement de deux grands programmes d'expositions de peintures, vitrine de l'excellence de l'Art américain, amenées à voyager en Amériques du Sud et surtout en Europe.
Afin de promouvoir ladite excellence, le sénateur Fullbright établit parallèlement un programme de bourses permettant à des milliers d'intellectuels de tous pays d'effectuer le "Grand tour" américain afin d'admirer sa richesse culturelle.
Il s'agit, entre autres, d'affirmer et d'établir l'émergence d'une nouvelle école spécifiquement américaine, c'est-à-dire l'Expressionnisme abstrait avec J. Pollock, M. Rothko, A. Gorky... Cette école qui reste une construction étroitement liée au contexte de la guerre froide sera soutenue par des fondations, des musées, des universités. Le Rockefeller Brother Fund et le Musée d'Art Moderne de New-York vont ainsi largement promouvoir en Europe, sans oublier la France, le Nouvel Art en organisant nombre de publications et d'expositions. Désormais et à partir de l'application de ce principe, toute tendance de l'art occidental devra venir d'outre atlantique.